ANTIQUITÉ TARDIVE

ANTIQUITÉ TARDIVE
ANTIQUITÉ TARDIVE

L’expression «Antiquité tardive» est d’usage récent en France alors que le mot Spätantike a été employé par la science germanique au début du siècle pour définir une période, un goût, un style et que l’érudition anglo-saxonne s’est intéressée de tout temps (l’historien Gibbon au XVIIIe siècle) à cette transition: les objets de la période sont groupés depuis le XIXe siècle dans des sections spéciales des musées anglais et américains. La notion reste encore chronologiquement ambiguë, mais, en général, on considère qu’elle couvre la période allant des réformes tétrarchiques (fin du IIIe siècle) – peut-être même depuis la fin de la dernière grande dynastie impériale, celle des Sévères (milieu du IIIe siècle) – jusqu’à la «Renaissance carolingienne», qui recrée au début du VIIIe siècle un empire unitaire en Occident.

En France, il s’agit d’une mutation fondamentale par rapport à la tradition qui, depuis la fondation de l’École des chartes au XIXe siècle, faisait débuter le Moyen Âge à la division définitive des empires romains d’Occident et d’Orient, à la mort de Théodose, en 395: les médiévistes n’admettaient pas que les institutions et l’art des royaumes mérovingiens puissent prolonger pour l’essentiel la tradition antique. En fait, les peuples germaniques (ou Avars et Slaves en Orient) étaient relativement peu nombreux, n’avaient pas de langue de culture, d’architecture adaptée à des établissements fixes, de tradition administrative nécessaire à des états structurés, et ils ont adopté assez rapidement la langue et l’écriture (le latin ou le grec ou la transcription «cyrillique» des langues slaves, issue du grec), la civilisation, la religion (le christianisme, mais souvent l’hérésie arienne qui dominait parmi les missionnaires œuvrant en Europe centrale) et les cadres institutionnels des pays conquis dont ils ont employé les fonctionnaires et les artistes. La plupart de ces peuples étaient du reste de longue date en rapport avec l’Empire qui avait recruté chez eux une bonne partie de son armée et qui avait établi à ses frontières, moyennant un certain nombre de prestations, des tribus entières liées à l’État romain par des traités (fœderati ).

1. Institutions et société

L’Empire, sans connaître de mutation brutale, se transforme à partir du IIIe siècle. Certes, l’unité du «monde romain» (orbis romanus ) subsiste en principe jusqu’à l’époque de Justinien, au VIe siècle (les Byzantins garderont toujours le nom de Romaioi ), mais, en pratique, l’Empire connaît des divisions, dues soit à des usurpations (cas des Empires «gaulois» et «palmyrénien» au IIIe siècle), soit aux institutions (tentative de «tétrarchie», avec deux Augustes assistés de deux Césars, sous Dioclétien en 293), soit à des partages dynastiques (entre les fils de Constantin, puis – coupure définitive – entre les fils de Théodose à la fin du IVe siècle). Ces divisions étaient inévitables face à la multiplication des menaces extérieures et intérieures, malgré le système perfectionné de communications (cursus publicus ). Il en est résulté un déplacement des centres du pouvoir. Déjà, aux IIe et IIIe siècles, les empereurs avaient été souvent obligés d’établir leur état-major près des frontières, dans des centres comme Trèves pour l’armée du Rhin, Sirmium pour celle du Danube, Antioche pour celle de Syrie. Désormais, Rome reste l’Urbs , la Ville par excellence, mais elle n’est plus qu’à l’occasion résidence impériale. Les capitales occidentales sont Trèves puis Arles – plus éloignée de la menace germanique –, Milan et, à la fin du IVe siècle, Ravenne – protégée par ses marécages et dotée d’un port militaire. En Orient, après des tentatives dans les Balkans (Sirmium , Sofia = Serdica , peut-être Thessalonique au temps de Galère), en Asie Mineure (Nicée et Nicomédie), en Syrie (Antioche, capitale des rois séleucides, qui demeure une résidence temporaire), Constantin choisit l’ancienne Byzance pour y construire sa ville (Constantinopolis ), qui restera la capitale de l’Empire d’Orient. Toutes ces villes connaissent donc des transformations majeures: construction d’un palais et de bâtiments administratifs, accompagnés d’édifices de prestige (comme un cirque, des thermes, etc.), aménagement ex novo de quartiers entiers suivant un plan d’ensemble, surtout à Constantinople dont les institutions (sénat et préfecture de la Ville) sont calquées sur celles de Rome. Dioclétien avait prévu de mettre les empereurs à la retraite après vingt ans de règne, d’où des «palais de retraite», comme la «villa» que Dioclétien s’était fait construire à Split, sur la côte dalmate dont il était originaire. On a cru (à tort) identifier celle de son coempereur Maximien à Piazza Armerina en Sicile. On fouille en Serbie un curieux ensemble monumental que Galère avait développé à Romuliana où il était né. Dans le même esprit, Justinien voudra créer une ville nouvelle (Justiniana Prima ) à Cari face="EU Caron" カin Grad (en Serbie également) à la place de son village d’origine.

La nature et le mode d’exercice du pouvoir impérial (puis royal, car les rois barbares ont calqué le modèle impérial) changent. Sous le Haut-Empire, l’empereur était censé être le premier des sénateurs, bien que, dès la fin du Ier siècle, s’impose l’idée qu’il est au-dessus des hommes et même des lois (Domitien se fait appeler Dominus et Deus ) et que le culte impérial se répande partout. Mais, au Bas-Empire, l’idéologie impériale, issue d’ailleurs de la pensée hellénistique, tend à renforcer le caractère surhumain de l’empereur, choisi par les dieux parce qu’il est le meilleur quand il est adopté ou imposé par l’armée – ou parce qu’il est le mieux préparé quand il est l’héritier. Dioclétien a institutionnalisé cette divinisation: l’empereur, que l’apothéose plaçait après sa mort au rang des dieux (divus ), appartient dès son vivant à leur famille; lui-même et son César se rattachaient à Jupiter (Jovii ), tandis qu’Hercule devenait l’ancêtre de Maximien et du second César, qualifiés d’Herculii . Cette protection divine paraissait si nécessaire au salut de l’Empire que quiconque la contestait devenait sacrilège: c’est essentiellement le refus des rites du culte impérial qui motiva la persécution des chrétiens. La conversion de Constantin au christianisme changea seulement la formulation: l’empereur devint pour les panégyristes le «vicaire du Christ», chargé de veiller à la défense de la foi. Protégé de la divinité (rex gratia Dei , dira le Moyen Âge), il s’entoure d’un cérémonial aulique – incluant la prosternation et le silence religieux de la cour en sa présence – que certains polémistes chrétiens critiquaient comme une imitation des Perses (Sassanides). L’Auguste, dont les décisions sont divinae , abandonne la couronne de laurier ou le simple diadème pour la couronne gemmée; il siège sur un trône abrité sous un ciborium, comme une statue divine, porte des vêtements de pourpre rehaussés d’or et de pierres précieuses: figure hiératique bien caractérisée sur les monnaies ou sur les mosaïques de Ravenne ou de Constantinople.

L’administration du Haut-Empire était relativement légère car le système reposait sur une large autonomie des cités, et les gouverneurs étaient avant tout juges d’appel, éventuellement chefs d’armée quand la province avait une garnison. L’armée était répartie, en dehors de la garnison de Rome et de quelques grandes villes (Carthage et Lyon), dans les provinces frontières. Le système ne résista pas à la crise du IIIe siècle. Le remède choisi, mis au point progressivement entre 260 et 330, renforcé au IVe siècle par Constance et Théodose, fut une stricte hiérarchisation des fonctions et des classes. La fonction publique fut développée et militarisée (tous les fonctionnaires ont un grade et portent le costume de cérémonie militaire, avec le ceinturon sur la tunique, la chlamyde attachée à l’épaule par une fibule dont la forme et la matière varient suivant le rang: l’image est illustrée par les effigies de «saints militaires» ou l’entourage de Justinien et Théodora à Saint-Vital). Fonctions et métiers devinrent héréditaires. L’impôt direct, qui ne touchait plus les citoyens, fut à nouveau généralisé et reposa sur un strict recensement des personnes (capitation) et des terres. En raison de l’hyper-inflation du IIIe siècle, il fut perçu le plus souvent en nature ou en or (pour les hautes classes), et les salaires et les prestations furent versés de la même façon, ce qui modifiait complètement les données de l’échange.

L’armée des frontières (limites ) du Haut-Empire ne suffisait plus dès lors que les Barbares pénétraient jusqu’au cœur de l’Empire. Tout en gardant des garnisons aux frontières (limitanei ), on constitua une armée de campagne, appelée comitatus parce qu’elle faisait partie de l’entourage de l’empereur qui pouvait la commander lui-même (mais elle était aussi placée sous la responsabilité de magistri militum ). L’armement fut adapté aux ennemis à combattre, principalement des cavaliers et des archers, parfois lourdement cuirassés («cataphractaires» perses). On abandonna les grandes unités d’infanterie lourde pour développer la cavalerie et multiplier des unités plus mobiles, qui gardent les noms traditionnels (legiones , alae , cohortes ) ou devinrent simplement des «unités» (numeri ). Les fortifications des frontières, qui avaient été mises à mal par les invasions, furent reconstruites et renforcées au IVe siècle et à nouveau par Justinien au VIe siècle. Cette architecture militaire, d’un type nouveau à cause du progrès des techniques de siège et de l’artillerie, fait aussi partie de l’art de l’époque. Elle changea complètement le paysage dans certaines régions où les villes furent pourvues pour la première fois d’enceintes, restreintes souvent, qui tranchèrent donc dans le corps urbain: à Rome sous Aurélien dans les années 270, en Gaule à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle, en Afrique au début du Ve siècle à Carthage et surtout lors de la reconquête byzantine.

En même temps que l’empereur, c’est l’institution majeure de l’administration centrale, la «préfecture du prétoire» (le préfet était primitivement le chef de la garde – cohortes praetoriae – mais détenait aussi des pouvoirs judiciaires et était devenu, de fait, un Premier ministre), qui est «décentralisée» et éventuellement séparée de la résidence impériale: le préfet des Gaules, qui a juridiction sur l’Espagne et la Bretagne, réside à Trèves puis à Arles, le préfet d’Italie et d’Afrique est avec l’empereur à Milan puis à Ravenne, le préfet de l’Illyricum (Balkans) a son siège à Sirmium ou Thessalonique ou, de façon éphémère, à Justiniana Prima sous Justinien, le préfet d’Orient réside à Constantinople. La préfecture du prétoire régionale est relayée par des «vicaires» du préfet qui ont juridiction sur des groupes de provinces, car celles-ci ont été redécoupées et il fallait maintenir des cohérences régionales. En même temps, on a cherché à séparer la compétence administrative et judiciaire des gouverneurs du commandement des armées provinciales confiées localement à des ducs (duces ), dirigés par des commandants régionaux (comites , qui étaient primitivement les «compagnons» de l’empereur, d’où le titre des comtes médiévaux). Cette réorganisation, très progressive, entraîna la création de nouvelles capitales, grandes ou petites, qui ne coïncident pas forcément avec les villes majeures du Haut-Empire, et, naturellement, des transformations architecturales et sociales.

On a la chance de posséder un annuaire de l’Empire romain du IVe siècle (mis à jour jusqu’au début du Ve siècle): la Notitia dignitatum , qui est illustrée (dans les copies médiévales qui paraissent fidèles) de vignettes montrant les insignes des principaux fonctionnaires et les emblèmes peints sur les boucliers des unités militaires. On y voit aussi la mention des ateliers d’État qui fournissaient les vêtements des fonctionnaires et militaires, les armes et certains objets de luxe pour l’usage de la cour ou pour les distributions aux dignitaires et fonctionnaires (largitiones ).

Les invasions barbares ont apporté à leur tour quelques modifications au paysage antique: si le roi ostrogoth a pris la suite des empereurs à Ravenne, et le roi vandale, celle du proconsul de Carthage, d’autres souverains ont créé de nouvelles capitales: Toulouse, et surtout Tolède pour les Wisigoths, Paris pour les Mérovingiens dont les partages dynastiques et l’habitude de séjourner dans des villas du fiscus (domaine impérial puis royal) ont multiplié les résidences.

Mais, surtout, la christianisation, accélérée par la conversion de l’empereur et combinée avec le déclin de la vie municipale, a profondément modifié les modes de vie, la répartition des pouvoirs et le panorama des villes et des campagnes. Des évêques apparaissent progressivement à la tête des communautés (en Gaule, il faut souvent attendre le Ve siècle pour trouver les prémices du maillage médiéval) et ils sont très inégalement répartis suivant les régions: en Gaule on a un évêque par civitas – entre un département et une région actuels –, en Afrique, un par bourgade, parfois même pour une grande exploitation, c’est-à-dire, dans certains cas, tous les dix kilomètres. L’episcopus devient le premier personnage de la cité, surtout quand il est choisi, comme souvent en Gaule, dans l’aristocratie locale. Il rend la justice, et pas seulement en matière ecclésiastique, il participe à l’administration municipale et doit parfois veiller à la fortification et à la défense de la cité. La cathédrale (du nom du siège de l’évêque, cathedra ), centre de la communauté (ecclesia ), constitue en réalité un ensemble, avec la demeure du clergé (domus ecclesiae ), le baptistère (le baptême est au début réservé à l’évêque), les bâtiments servant à l’accueil et à l’assistance, éventuellement plusieurs églises ; les autres édifices cultuels sont surtout répartis hors les murs dans les cimetières (églises mémoriales ou funéraires) ou sont destinés aux monastères, qui apparaissent au IVe siècle. En contrepartie, d’anciens bâtiments publics sont transformés ou abandonnés: les temples bien sûr, mais aussi les édifices de spectacle – en dehors des cirques, longtemps en usage pour les courses de chars, et des amphithéâtres où, à défaut des combats de gladiateurs interdits par l’Église, ont lieu les chasses aux animaux sauvages (venationes ) –, les grands thermes, qui souffrent de la rupture des aqueducs ou du manque d’entretien, parfois même le forum après la disparition des assemblées populaires. Dans les campagnes, on cherche à remplacer les temples païens les plus achalandés par des sanctuaires chrétiens, et, peu à peu, s’esquisse dans les vici , les villages et les grandes propriétés, le réseau des futures paroisses.

Depuis le IIIe siècle, dès avant la christianisation, l’inhumation remplace progressivement l’incinération, mais les tombes chrétiennes (en dehors des populations d’origine barbare qui gardent la tradition des «inhumations habillées» et des offrandes alimentaires) se distinguent par leur orientation (la tête, à l’ouest, regarde la Terre sainte) et par l’absence de matériel dont le dépôt était une habitude païenne. En outre, la tombe entre progressivement dans la ville, contrairement aux perscriptions ancestrales, notamment dans les églises où, en Occident, on recherche volontiers le voisinage des corps des saints ou de leurs reliques. Rome et quelques autres villes se distinguent par leurs cimetières souterrains («catacombes») où des loculi s’étagent dans les galeries et des cubicula (chambres), décorés de peintures, à thème parfois biblique dès le IIIe siècle: c’est la première manifestation d’un art proprement chrétien. L’inhumation génère aussi l’usage de grandes cuves de pierre ou de marbre (sarcophages), sculptées parfois aussi de thèmes chrétiens dès la fin du IIIe siècle à Rome. Cet usage se développera dans plusieurs provinces avant de disparaître, en général au IVe siècle, plus tard à Ravenne et en Aquitaine, mais on remploiera ces cuves décorées pendant tout le Moyen Âge.

2. Formes et goûts nouveaux

L’architecture reste directement tributaire de l’Antiquité, mais des villes et des quartiers nouveaux naissent ou se développent, notamment là où réside l’empereur. Parmi les palais du IVe siècle, seul celui de Trèves (avec peut-être celui de Thessalonique dont l’identification reste incertaine) a laissé des vestiges significatifs, et notamment la «basilique» à nef unique se terminant par une abside, construite en brique, qui serait la salle d’audience. La «villa» de Dioclétien à Split présente un plan régulier dans une enceinte quadrangulaire avec, face à la mer, une série de grandes salles et l’appartement impérial, vers l’intérieur un bâtiment octogonal, qui serait le mausolée de l’empereur, et plusieurs temples. Les arcs sur colonnes du «péristyle», l’arc échancré dans un fronton du «prothyron», le décor recherché de la Porta Aurea (on connaît d’autres portes de ce type à Constantinople, Resafa en Syrie, Jérusalem, etc.) ont été considérés comme des manifestations de cette architecture nouvelle dont l’historien d’art autrichien Strzygowski voyait l’origine en Orient. Même les demeures de l’aristocratie adoptent des formes différentes, avec la multiplication des salles à absides ou de plan centré, notamment pour les salles à manger (triclinia ) parce que désormais on banquette en demi-cercle sur un stibadium en sigma (du nom de la lettre grecque qui a ce tracé à basse époque). À ces formes qu’on dit baroques s’ajoute un goût particulier pour les fontaines et nymphées, placées parfois dans la salle de réception elle-même. Le décor des murs et des sols (dans les salles les plus importantes) utilise beaucoup l’opus sectile , parfois orné de motifs figurés (basilique de Junius Bassus à Rome). Mais l’Antiquité tardive est également la grande période de la mosaïque polychrome dans ces villas et maisons, surtout au Moyen-Orient, en Afrique, en Espagne et en Aquitaine, mais aussi en Italie, avec les exemples fameux de Desenzano sur le lac de Garde et de Piazza Armerina en Sicile.

Plus originale parce que liée à un besoin nouveau (les temples antiques n’étaient pas destinés à recevoir la masse des fidèles) est la naissance de la basilique chrétienne, dite basilique latine. Après bien des spéculations sur son origine, on revient généralement à la thèse des architectes de la Renaissance qui la font dériver de la basilique civile, mais organisée différemment, avec une abside où siège en général le clergé, l’accès principal sur l’autre côté court, un autel qui est le point focal, à un emplacement qui varie suivant la tradition liturgique locale, et parfois un vaisseau transversal (transept) devant l’abside. Dans les villages de Syrie du Nord (Qirkbizé), on a eu l’occasion d’examiner l’insertion de l’église au milieu des maisons et de suivre son évolution. Ce qui frappe, c’est la variété des solutions adoptées au IVe siècle dans les différentes provinces, contrairement à la théorie qui faisait de la basilique une création ex nihilo. Dans les régions alpines du nord-est de l’Italie, par exemple, l’abside n’apparaît pas dès le début et on installe le clergé sur une banquette dans la nef centrale. À côté du plan basilical avec couverture en charpente, généralement à trois nefs (cinq nefs ou plus pour de grands édifices), l’architecture chrétienne voit naître dès le IVe siècle des édifices centrés (ce devait être aussi le cas de la cathédrale d’Antioche) dont les plus spectaculaires sont les édifices mémoriaux des Lieux saints et les tétraconques de Milan (San Lorenzo, Ve siècle?), de Canosa, des Balkans et du Moyen-Orient, des plans cruciformes (deux cas à Milan, Saint-Laurent d’Aoste, Santa Croce de Ravenne, Saints-Apôtres de Constantinople). La coupole, introduite d’abord occasionnellement dans une basilique, par exemple en Grèce, dominera dans les constructions audacieuses des ingénieurs du VIe siècle (San Vitale de Ravenne et Sainte-Sophie de Constantinople) et ensuite dans l’architecture médio-byzantine. Le plan à deux absides opposées de l’architecture ottonienne a ses précédents en Afrique et en Espagne, et probablement aussi en Gaule. Les baptistères, quand il s’agit de constructions isolées, reprennent volontiers des plans courants dans l’architecture profane ou sépulcrale: octogone sur plan carré, tétraconque, triconque, etc. Ces édifices, souvent austères à l’extérieur (mais on note un traitement plastique des façades de brique en Italie du Nord et en Rhénanie, et un magnifique décor sculpté en Syrie), sont couverts à l’intérieur de peintures ou de mosaïques historiées, généralement au-dessus d’une plinthe d’opus sectile . Il suffit d’évoquer ici les mosaïques de Ravenne, de Sainte-Marie-Majeure et des absides de Rome. Le matériel architectural (chapiteaux) et liturgique, le plus souvent de marbre importé (Thasos et Proconnèse), reçoit également un décor abondant qui évolue vers des formes nouvelles (chapiteaux «paniers» ou «bizones» avec insertion de protomes animaliers) et des schémas symboliques (variations autour de la croix).

Les arts dits mineurs sont en plein renouvellement, à la fois dans les formes et pour le goût, que ce soit pour les vêtements (retrouvés en abondance dans les tombes égyptiennes et souvent représentés avec précision sur les peintures et les mosaïques), pour les accessoires de parure (fibules, plaques-boucles, colliers, boucles d’oreille, bien représentés parce que déposés dans les tombes), pour le matériel de la table et de la toilette (argenterie conservée par des «trésors» fameux comme celui de Kaiseraugst, plats et gobelets de verre gravé ou moulé), pour les diptyques d’ivoire distribués par les consuls, pour le matériel d’éclairage qui est abondant dans les églises parce que plusieurs cérémonies sont nocturnes, pour les objets d’usage liturgique (reliquaires, calices et patènes, croix, etc.). On note une schématisation des lignes, l’usage d’un traitement en méplat qui joue sur l’ombre et la lumière, une tendance à la frontalité, l’abandon de la perspective avec superposition des plans successifs en registres, et de nouveaux «codes» iconographiques, par exemple pour la représentation de l’architecture, qui annoncent le Moyen Âge.

La littérature classique reste la base de l’éducation de l’honnête homme jusqu’à l’époque carolingienne, mais il s’y ajoute de nouvelles formes de l’écrit avec le développement des traités théologiques, des sermons et des chroniques mondiales ou des histoires ecclésiastiques. On connaît même, pour la fin du IVe siècle, un pastiche d’histoire des empereurs (Histoire Auguste ) qui mêle à des informations puisées ailleurs des forgeries de propagande païenne. C’est l’époque où le codex (livre en parchemin) remplace le rouleau de papyrus, et les plus anciens manuscrits qui nous ont transmis les œuvres des classiques datent de cette période où l’on a mis au point une écriture fort lisible; certains sont ornés de remarquables miniatures comme le Virgile du Vatican ou la Genèse de Vienne.

Loin d’être une période de décadence (le «Bas-Empire»), l’Antiquité tardive est une époque de transition où naissent, dans le respect de la tradition romaine, profondément modifiée par les réformes des institutions et la christianisation de la société, les nouvelles mentalités et les formes du goût qui se développeront au Moyen Âge.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем решить контрольную работу

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Antiquite tardive — Antiquité tardive Assemblée des Dieux. Illustration du codex Vergilius romanus, folio 234, Ve ou VIe siècle, Bibliothèque apostolique vaticane L’expression Antiquité tardive est …   Wikipédia en Français

  • Antiquité Tardive — Assemblée des Dieux. Illustration du codex Vergilius romanus, folio 234, Ve ou VIe siècle, Bibliothèque apostolique vaticane L’expression Antiquité tardive est …   Wikipédia en Français

  • Antiquité tardive — Assemblée des Dieux. Illustration du codex Vergilius romanus, folio 234, Ve ou VIe siècle, Bibliothèque apostolique vaticane L’expression Antiquité tardive est utilisée pour désigner une période historique qui commence à la fin du IIIe …   Wikipédia en Français

  • Pertes de livres pendant l'Antiquité tardive — Traduction à relire Bücherverlust …   Wikipédia en Français

  • ROME ET EMPIRE ROMAIN - L’Antiquité tardive — Les travaux les plus récents s’efforcent de montrer que le IVe siècle, loin d’être une période de profonde «décadence», a connu au contraire une brillante renaissance dans tous les domaines de la civilisation. L’expression «Bas Empire», jugée… …   Encyclopédie Universelle

  • Antiquité chrétienne — Antiquité tardive Assemblée des Dieux. Illustration du codex Vergilius romanus, folio 234, Ve ou VIe siècle, Bibliothèque apostolique vaticane L’expression Antiquité tardive est …   Wikipédia en Français

  • Antiquite — Antiquité L Antiquité est la première des époques de l Histoire. Pour une civilisation, l Antiquité commence avec le développement ou l adoption de l écriture. Le passage à l antiquité s est donc produit à différentes périodes pour les différents …   Wikipédia en Français

  • Antiquité Gréco-Romaine — Antiquité L Antiquité est la première des époques de l Histoire. Pour une civilisation, l Antiquité commence avec le développement ou l adoption de l écriture. Le passage à l antiquité s est donc produit à différentes périodes pour les différents …   Wikipédia en Français

  • Antiquite classique — Antiquité classique Le terme Antiquité classique s oppose à Antiquité tardive et renvoie à l héritage de la civilisation gréco romaine. Il est surtout employé dans les découpes historiques relatives à l historiographie anglo saxonne (historiens… …   Wikipédia en Français

  • Antiquité Classique — Le terme Antiquité classique s oppose à Antiquité tardive et renvoie à l héritage de la civilisation gréco romaine. Il est surtout employé dans les découpes historiques relatives à l historiographie anglo saxonne (historiens anglais et… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”